Titre : Clair-obscur, chapitre 4.
Base : Gundam Wing.
Couples : Alooors... 4+2 et toujours 2-4. Un poil de 3+2 ? 2-1 et 2+1 (ah, il est pas simple, notre Duo !). 1+2 (Heero a une façon *très* personnelle d'exprimer son affection). Je crois que c'est tout.
Genre : Sérieux, POV alterné (Duo, Heero, puis Duo), un peu de angst et violence. Duo parle comme un charretier, excusez-le... Je fais ce que je veux avec la chrono, comme d'hab, alors c'est toujours la guerre, et c'est toujours OZ les méchants...
Auteurs : Meanne77.
E-mails : meanne77@noos.fr.
Disclamer : Après le chapitre 3, Duo m'a fait la gueule pendant une semaine. Vu ce que je lui inflige cette fois-ci, je me vois mal le réclamer... (Je tiens *encore* à la vie, moi !)
Notes :
1) Alors j'ai eu énormément de mal à débuter le chapitre, Duo me faisant la gueule et refusant de parler au bon temps, et de parler tout court d'ailleurs (vous imaginez ? *Duo* ne parlant plus ?), mais il a fini par me revenir, donc, ouf, tout va bien !
2) POV alterné avec Hee-chan, parce qu'il le faut bien, mais il y aura très peu l'alternance dans la fic, c'est juste quand je peux pas faire autrement. Je n'indique pas les changements de POV, je pense que c'est suffisamment clair en soi...
3) Le flash back est en italique et au style indirect, parce que c'est comme ça ! lol !
4) Oui, le chapitre est long, plus que les autres (remarquez, je suppose que vous allez pas vous en plaindre ! ^^;), c'est juste qu'à l'origine, y'a une (longue) scène (en 2 temps) entre 1 et 2, qui, dans mon découpage originel, devait clôturer le chapitre 3. Comme j'en avais marre de la voir repousser, parce que ça fait 2 mois que je veux l'écrire, cette foutue scène, je me suis dit que tant pis, le chapitre serait peut-être long, mais elle clôturerait le chapitre 4 ! Non mais ! Et le résultat obtenu n'est pas si éloigné de ce que j'avais en tête... Pour une fois.

Shakes, PPCU, j'espère que ce chapitre vous plaira, lol ! ^^


Clair-obscur :
Chapitre 4.


J'aimerais avoir un sablier pour pouvoir donner des chiquenaudes dedans et faire que le sable s'écoule plus vite. Ou j'aimerais que par miracle le temps s'arrête, figeant le monde qui m'entoure, sauf moi bien sûr, ce qui me permettrait de détaler comme un lapin. J'aimerais bien être un lapin...
Au lieu de ça, je dois me contenter d'attendre dans mon coin que mon Destin vienne à ma rencontre. Et il est pas pressé de venir chercher son civet, le bougre !
C'est insupportablement exaspérant ; combien de temps encore vais-je devoir mijoter de la sorte ?
J'ai fini par arrêter de compter mentalement les secondes qui passent, c'était on ne peut plus déprimant et finalement, ça me donnait l'impression que les heures s'écoulaient encore plus lentement. Au bout d'un temps que j'aurais du mal à qualifier autrement que par une éternité, la route s'est faite plus cahoteuse. Ça fait plusieurs minutes que ça dure maintenant, et ma boule d'angoisse me dit que le moment de soulever le couvercle est bientôt arrivé. Ils me croiraient si je leur disais que j'ai vraiment rien de comestible ?
La camionnette s'arrête et il me semble presque entendre le "ting !" de fin de cuisson. Une portière claque à l'avant et Blondinet se charge d'ouvrir les portes arrières, tandis que Laser Boy range son portable dans une sacoche, sans m'accorder le moindre regard. Je suppose avoir le droit de sortir à mon tour de ma cage, et je dois reconnaître accueillir avec un plaisir certain l'air frais et odorant qui me parvient alors. Un coup d'oeil aux environs m'apprend que nous nous trouvons dans une forêt... De toutes les hypothèses qui avaient pu me venir à l'esprit sur ce qui m'attendrait à l'arrivée, j'avoue que le camping n'en faisait pas partie. Laser Boy fait quelques pas avant de s'immobiliser et d'attendre. Il porte un sac de sport en plus de sa sacoche. Blondinet a lui aussi un sac, et il se dirige vers Laser Boy, si ce n'est qu'il poursuit son chemin sans se retourner. Barton me tend à son tour un sac. Lui-même en porte deux.
- Tes affaires, me dit-il en lâchant le sac à mes pieds.
Je sens que j'ai l'air bête. Je le regarde, puis baisse les yeux au sol avant de les relever pour les abaisser de nouveau. Mon sac ? Avec mes affaires dedans ? Mes affaires qui m'appartiennent à moi ? Sérieusement ? Y'a ma vie, ou du moins une partie de moi, dans ce sac ?
Alors c'est vrai ? Je suis... vraiment leur ami ? Je veux dire, c'est idiot mais... pour de vrai ? Parce que... si c'était vraiment mes amis, ou ne serait-ce que des compagnons de quelque chose, il devrait en rester une trace en moi, non ? Parce qu'il faudrait vraiment être aveugle pour ne pas voir que ces gars-là se connaissent très bien. Peut-être pas des amis, mais un groupe, ça c'est certain. Mais si j'en fais vraiment... si j'en faisais vraiment partie, il devrait forcément en rester quelque chose, non ? Que je les reconnaissent pas, okay, je suis amnésique, mais instinctivement, il devrait y avoir un truc entre nous ! Alors pourquoi la seule chose que je ressente à leur encontre, c'est de la méfiance ? Pourquoi quand je les regarde, le seul mot qui me vienne à l'esprit, c'est "DANGER !!" ? Pourquoi, pourquoi ?
Mais si je ne faisais pas partie des leurs, avant, ils ne pourraient pas avoir mes affaires, n'est-ce pas ? Deux ou trois choses, peut-être, qu'il auraient pu ramasser sur moi au moment de ma... capture, mais certainement pas de quoi remplir un sac ! Parce qu'il est plein, ça se voit, il pèse son poids, au moment où je le soulève et où je sers fort l'anse pour empêcher mes doigts de trembler !
Alors... ce serait vrai ? Ce sont... mes amis ? Ils veulent m'aider ? Je peux avoir confiance ?
...
Je peux pas.
Je retiens un brusque sanglot qui me vient et parvient à demeurer... globalement neutre.
Je n'y arrive pas. Le panneau "DANGER !!" ne cesse de clignoter devant mes yeux. J'aimerais, ce serait tellement plus facile, et quel soulagement ce serait de ne plus... d'avoir moins peur... Mais je ne peux pas...
- Allons-y, Duo, le soleil ne va pas tarder à se coucher, me dit Barton d'une voix presque concernée.
C'est vrai, l'air est plus frais et la luminosité diminue déjà. J'hoche docilement la tête avant de me diriger vers Yuy, qui prend alors le même chemin que Winner un peu plus tôt.
Je ne sais pas...
Barton me suit, mais je ne sens pas d'hostilité. De l'oppression, de l'angoisse, oui, mais pas de menace...
Je ne sais plus...
J'entends dans mon dos que la camionnette redémarre. Sans doute Chang va-t-il la camoufler un peu plus loin...
Je ne suis même pas sûr d'avoir envie de savoir...

*******

Les joyeux campeurs que nous sommes avancent pendant plusieurs dizaines de minutes. Je me contente de suivre, m'efforçant de prendre des repères visuels, mais cette forêt ne me dit vraiment rien. Les arbres se ressemblent tous.
Nous finissons par arriver à un terrain un peu plus dégagé, et surprise ! il y a une maison ! Enfin, une bicoque, rien de bien extraordinaire non plus, mais quelque part, je suis soulagé de savoir que je n'aurai pas à dormir sous une tente ce soir. Sans vouloir faire mon douillet, je tiens à avoir autant que possible un toit au-dessus de la tête, la nuit. Je sais pas trop pourquoi, c'est juste... comme ça... Ou peut-être suis-je vraiment douillet ? Je me demande s'il y a l'eau courante ? En tout cas, il y a de l'électricité, je vois que l'entrée est éclairée la porte est ouverte et il me semble deviner un générateur sur le côté est de la maison.
Nous entrons à la queue leu leu, Yuy et Barton filent directement... quelque part à l'intérieur, me plantant dans l'étroit couloir. Je reste là quelques secondes, indécis, lorsque Boucles d'Or surgit de derrière une porte. Je lui lance un regard noir ; il m'a presque fait sursauter.
- Oh, excuse-moi, Duo ! il fait, le sourire toujours aux lèvres. Je vais te faire visiter ! ajoute-t-il en me saisissant par le coude, avant de me lâcher, sans doute conscient qu'il vient de commettre une erreur. Voilà la cuisine, fait-il en désignant la pièce dont il vient de sortir, ça, c'est le salon et la chambre de Wu Fei, complète-t-il en me montrant la porte en face. Là, c'est les chambres, il continue en pointant deux portes, ouvertes, en vis-à-vis, et au fond, dit-il en me faisant signe de le suivre, c'est la salle d'eau. Nous avons un générateur pour l'électricité et un ballon d'eau chaude, je les ai mis en route en arrivant.
Peut-être a-t-il été groom dans une autre vie, je l'imagine bien dans un costume rouge avec un petit chapeau ridicule...
- Tu partages ta chambre avec Heero, fait-il encore, en me montrant du doigt la porte située sur le côté gauche du couloir.
- Pourquoi ?
La question semble le déstabiliser.
- Et bien..., hésite-t-il, c'est ce que vous faites d'habitude...
Hum... Il... ment ? Je reste septique. Puisque Yuy est le chef, il paraît normal qu'il prenne la responsabilité de me surveiller pendant que sa "troupe" se repose... Les deux hypothèses sont plausibles. Enfin... je suppose que je devrais être reconnaissant au Ciel de ne pas partager la chambre de Winner...
Je me dirige donc d'un pas traînant vers "ma" chambre. Yuy se tient contre l'embrasure de la porte, bras croisés, et devinez quoi ? Il me regarde ! Ce mec est d'une imprévisibilité, j'vous jure ! Enfin bref. Son sac est posé à ses pieds. Je stoppe devant lui, jette un coup d'oeil à la chambre, puis reporte mon attention sur lui. Silence... Attente... Raaah, j'y tiens plus !
- Je choisis mon lit, c'est ça ?
Un ange passe...
- Je prends ça pour un oui...
Oooooh ! Le coin droit de sa bouche frémit ! Va-t-il sourire ?
Non.
On est pas passé loin en tout cas.
Hey ! Je deviens bon en communication silencieuse moi aussi ! On célèbre ça, ce soir ?

Je pénètre d'un pas dans la chambre. Il y a deux lits pouvant contenir une personne chacun, à condition de pas trop bouger. Celui de gauche est coincé contre le mur. Il y a un espace le séparant de celui de droite. Une fenêtre se trouve à la dextre du deuxième lit, et en prenant celui-ci, le chemin vers la porte est plus accessible. En choisissant le lit de gauche, il faut pénétrer dans la chambre pour avoir une vision totale de son occupant... Malgré tout, je préfère le côté fenêtre Et puis, ce sera plus pratique pour aller aux toilettes...
Je pose mon sac sur le lit de mon choix et me retourne.
- Ça va, celui-là ?
Il m'ignore et a déjà commencé à défaire son sac. A croire qu'il savait à l'avance quel côté j'allais choisir... Je suis si prévisible que ça ?
Il sort quelques vêtements, impeccablement pliés, et les range dans la commode qui se trouve contre le mur, près de la porte, et que je n'avais pas remarquée en entrant. Débardeurs verts et shorts en spandex noirs, il a que ça en magasin ? Peut-être a-t-il des caleçons "jours de la semaine" pour s'y retrouver... A supposer qu'il porte des sous-vêtements, bien sûr... Quoi ? Me regardez pas comme ça ! Je vous assure que sa tenue ne laisse que peu de place à l'imagination, je me pose des questions, c'est normal !

Il me désigne la commode du doigt et dit "tiroirs", et je reste sur le cul. Vous vous rendez compte que c'est le sixième mot qu'il m'adresse personnellement depuis que je le connais ? Stupéfiant, non ?
Et il quitte la pièce. Je vois Barton et Blondinet passer dans le couloir et se diriger à sa suite vers l'entrée de la maison.
C'est une blague ? Ils me laissent tout seul là ? Pour de bon ?
J'entends une porte s'ouvrir puis se fermer sur la droite, probablement la porte d'entrée. Chang ; je vois pas qui d'autre. Deux ou trois mots sont prononcés et une autre porte est fermée. J'attends un peu. Silence. J'attends encore. Pas le moindre mouvement. J'avance prudemment vers la porte et jette un coup d'oeil au couloir. Vide. La porte du salon est fermée. Inutile de spéculer des heures pour savoir qu'ils sont en train de discuter. Je ne pense pas non plus qu'il faille chercher très loin leur sujet de conversation.
Je ferme en silence ma porte, mettant une barrière de plus entre eux et moi.
Sans rire ? Ils me laissent seul dans une pièce au Rez-de-chaussée avec une fenêtre qui ne demande qu'à être ouverte ? Ce dont je ne me prive pas, bien sûr. L'air est frais, c'est agréable. C'est un piège ? Un test ? C'est ça ?
J'observe les alentours... Non, c'est plus simple que ça. Le ciel est déjà embrasé et les arbres m'empêchent de me repaître du spectacle. D'ici moins d'une demie-heure, il fera nuit noire. Qui serait assez con pour s'aventurer seul et sans rien dans une forêt inconnue, en pleine nuit ? Tout simplement.
Et je me rends compte que l'envie d'avoir un toit au-dessus de la tête le soir dépasse de loin la simple préférence.
Je laisse la fenêtre entrouverte, néanmoins. Il fait peut-être un peu frisquet mais la pièce a vraiment besoin d'être aérée. Je me retourne vers mon lit. Mon sac, mes affaires...

D'un geste vif, je dézippe la fermeture éclair et commence l'inspection de mes biens. Dès le premier coup d'oeil, je dois dire que je suis pas déçu. Une Bible. Une... Bible ?
Je la sors respectueusement et l'examine. Elle a visiblement souffert : la couverture noire, en cuir et sans fioriture, ainsi que la tranche latérale, sont noircies, comme si elle avait été tenue trop près des flammes. La plupart des pages sont cornées et abîmées, voire pour certaines, en partie déchirées, mais il ne semble pas en manquer. La couverture porte des taches, qui sont carmin sombre sur la tranche inférieure. Du sang. Oh putain, mais d'où elle sort, cette Bible ? Je la feuillette rapidement mais ne vois aucune dédicace ou annotation. Je la dépose sur le lit et reporte mon attention sur le reste.
Je sors du sac plusieurs pantalons noirs, quelques chaussettes et boxers, noirs eux aussi. Une ceinture, noire toujours. Un pull, dont je vous laisse deviner la couleur. Ça commence à être morbide, cette histoire... Quelques... euh, sorte de chemises, noires bien sûr. J'en déplie une et l'étends sur le lit. Le col est un peu bizarre. Je fouille encore et... qu'est-ce que c'est que ça ? Un col blanc ? ... ... Nooooon ? Un col de prêtre ? C'est une blague là, dites, hein ?
Je le positionne sur la chemise... C'est un col de prêtre ! Noooon !!
...
Nan, j'suis trop jeune pour être dans les Ordres, ne ? Rassurez-moi là ! Putain mais c'est quoi ce merdier ?
Vous croyez que ça peut s'oublier, la Foi ? Nan, parce que je me sens pas du tout, mais alors pas du tout croyant, là, moi !

Un autre livre, Pearl of Sorrow, de Wilhelm MacCorey. Lui aussi a l'air d'avoir pas mal bourlingué ; je parle du livre, pas de l'auteur, hein !
J'ai pas l'air de prendre particulièrement soin de mes affaires en tout cas...
La perle du chagrin... Une Bible et une tenue de prêtre... Des vêtements entièrement noirs... Je suis un bout-en-train, dites moi ! Vache, ça fait peur !
Rien de tout cela ne me correspond, c'est vraiment mes affaires ? Y'a une arnaque quelque part, c'est pas possible !
Je passe mes doigts sur la jaquette.
Je suppose qu'il va falloir que je le reprenne depuis le début, hein ? C'est con, j'en étais au trois quart... Y'a un marque page, enfin, un bout de papier, avec des chiffres dessus. Ça pourrait être un numéro de téléphone. Je me demande qui...
Je retourne le papier entre mes doigts, puis parcours la pièce du regard . Y'a pas un stylo dans le coin ?
Je fouille la table de nuit, mais mis à part la lampe de chevet, il n'y a rien. Rien dans la commode bien sûr, rien de caché entre les T-shirts verts et les shorts noirs, rien sur la petite table qui doit faire office de bureau. Bon sang, y'a jamais rien de ce qu'il faut, on peut pas travailler dans ces conditions !
Je soupire et finis de vider mon sac. Une trousse de toilette (noire !), avec brosse à cheveux, en bois, dentifrice et brosse à dents rouge (si !!), quelques élastiques (noirs ; je me disais aussi, toutes ces couleurs, ça pouvait pas durer). Pas de cachets ou un quelconque médicament. Il est bon pour le moral de savoir que je suis en bonne santé... Une petite bouteille de shampoing, genre format d'urgence. Bizarre...
Une veste courte en cuir noir. Par acquis de conscience, je me fais les poches. Un chewing-gum... Merci, peut-être plus tard. Un prospectus plié en quatre pour un pressing au Royaume de Sank... Un ticket de caisse illisible... Rien d'autre dans le poches extérieures, mais dans celle intérieure, je trouve un petit calepin avec un minuscule crayon. Et bin voilààà ! Je m'aime, des fois...
Je feuillette le calepin mais toutes les pages sont vierges. Sur la première, on peut voir des traces pourtant.
Heureusement, c'est un crayon à papier... Je le passe sur la page pour révéler les signes. Pas évident à lire... On dirait une liste de course... Aucun intérêt.
Sur une autre page, je recopie la série de chiffres du marque page. Pas facile d'écrire correctement avec un crayon aussi petit. La façon de tracer les chiffres semble être la même. Je recopie quelques éléments de la liste. Sans être un expert en la matière, je pense pouvoir dire que c'est bien la même écriture. Impulsivement, j'écris ce qui est censé être mon nom. Duo Maxwell. Ça fait bizarre, très bizarre, de le voir écrit. Je sais pas pourquoi.
Mon écriture...

Je soupire encore, vérifie que le sac est bien vide, et remets tout en place. Je préfère que tout soit déjà empaqueté, oh, juste au cas où.
J'étudie de nouveau la chambre du regard. Mes yeux tombent sur le sac de Yuy. C'est tentant mais je suis pas totalement suicidaire non plus.
J'entreprends l'inspection minutieuse de la chambre. Je sais pas pourquoi, j'ai l'impression que ça me rassure. Est-ce que je fais toujours ça quand je pénètre dans une nouvelle pièce ? Je crois que oui...
Rien sur les murs, si ce n'est qu'ils ne rechigneraient pas contre un bon coup de peinture. L'air est relativement humide, mais c'est normal en forêt. Il y a de la poussière, mais moins que ce à quoi on pourrait s'attendre. Quelqu'un est venu ici il y a un ou deux mois et a fait le ménage.
Les draps ont l'air propres, bien qu'un peu humides eux aussi ; c'est pas agréable. Mon oreiller est trop mou mais je ferai avec, j'ai connu pire.
Je stoppe net. Qu'est-ce qui me fait dire ça ? Certes, un oreiller mou, c'est loin d'être la mort, c'est juste que l'expression me surprend. "J'ai connu pire..." Oui ? Sans doute, mais à quoi mon esprit voulait faire allusion par là ?
Sentant poindre le mal de tête, je cherche pas plus loin, mais je me promets de faire d'avantage attention à ce genre de petites réflexions ou pensées qui pourraient me venir.
Rien sous le lit, si ce n'est quelques moutons. Sous le matelas... Ooooh ! Bonjour toi ! Ça alors, mais qu'est-ce que tu fais là dis-moi ? C'est quoi ton p'tit nom ? Beretta ? Mais c'est très, trèèès joli comme nom, ça, Beretta ! A l'heure actuelle, c'est même mon prénom préféré !
Je jette un coup d'oeil à la porte et ouvre grandes mes oreilles. R.A.S.
Je retourne à mon nouveau copain. Il a le ventre plein en plus, et c'est de vraies balles, pas des à blanc (non, ne me demandez pas comment je le sais...).
Je prends une profonde inspiration pour me détendre. Il y a une différence entre me laisser seul dans une pièce sachant que s'il ne faisait pas nuit, je jouerais les lapin de Garenne, et me laisser seul dans une pièce, et armé. Donc... ils ne doivent pas savoir que ce petit bijou est là. Et si je suis vraiment déjà venu ici, et si c'est bien le lit que je choisis toujours... Je ne m'aime pas, je m'adore ! Et je souris comme un malade. Je me sens beaucoup mieux, tout à coup !
Je m'examine rapidement ; je ne pense pas pouvoir le garder sur moi sans qu'ils s'en aperçoivent. On ne peut pas sortir de je ne sais où un flingue sans même que je vois le geste et ne pas s'y connaître plus qu'un minimum. Je serais prêt à parier que Yuy le remarquerait à la seconde où il me verrait. Je ne peux tout simplement pas gâcher de la sorte cette bénédiction du Ciel.
Mais il ne sait pas qu'il est là, il ne m'aurait jamais laissé l'occasion de le découvrir sinon. Et s'il ne connaît pas son existence, ça veut dire qu'il sera aussi bien sous mon oreiller que sous mon matelas, à la différence qu'il me sera alors beaucoup plus facilement accessible. Oui...
Je remets le chargeur en place, l'arme et fait même sauter la sécurité, puis le place sous mon oreiller. Je souris encore.
J'achève l'inspection de la chambre, prends même le risque de vérifier le sommier de Yuy. Rien. Ça me conforte encore un peu plus dans l'idée que je suis bien le seul à connaître l'existence de Beretta. Je souris toujours. Il semblerait qu'un des joueurs ait gagné quelques Atouts...
Dernier coup d'oeil circulaire. Je commence à avoir faim aussi, mais avant ça, j'aimerais prendre une douche. Pour autant que je le sache, ça va faire au moins 48 heures que je ne me suis pas lavé. En tout cas, ça va faire deux jours que je porte les même vêtements.
J'ouvre silencieusement ma porte. Toujours le vide sidéral. J'aurais préféré ne rien avoir à leur demander mais je ne sais pas où se trouvent les serviettes, tout ça, et j'ai franchement la flemme de les chercher... Il aurait pas pu y penser, l'aut' mère poule, non ?
Enfin... Tant pis, je vais leur demander...
Je me dirige vers le salon d'un pas feutré. Ils doivent toujours être en train de discuter... Si ça se trouve, je pourrais peut-être même apprendre quelques trucs intéressants ?

*******

J'ai laissé Duo seul dans la chambre, mais je ne pense pas prendre là un trop grand risque.
J'ai bien vu qu'il ne cessait d'observer les alentours, comme s'il guettait la moindre occasion de partir, mais tout amnésique qu'il soit, il reste intelligent, il n'ira pas se perdre dans une forêt qui doit lui être inconnue à présent, pas en pleine nuit en tout cas, pas sans une véritable bonne raison.
Il veut fuir, je le sais, mais nous ne pouvons pas le laisser partir. Tout ce que je peux faire pour l'instant, c'est lui accorder quelques instants de solitude. Je pense qu'il en a besoin. Et nous devons parler, aussi, tous les quatre.

Nous n'étions pas préparés à ça.
Prêt à perdre un coéquipier, oui, ce sont les risques du métier.
Prêt à nous perdre nous-même pour la réussite de la mission, oui encore, nous l'avons choisi.
Mais nous n'étions pas préparés à perdre l'un d'entre nous en le voyant revenir vivant...
J'ignore quoi faire à présent. Nous avons perdu Duo et nous avons un nouveau problème sur les bras. Et je ne sais pas quelle voix écouter.
J'essaye de rester rationnel et analytique, mais ces deux mots n'ont jamais mené à rien lorsqu'il s'agissait de Duo.
Mais ce n'est plus Duo, non, ce n'est pas Duo, c'est quelqu'un qui lui ressemble.
Et ce quelqu'un nous met tous en danger.
Il ne faut pas que je prenne en compte la lueur perdue qu'ont ses yeux, ce besoin de se raccrocher à quelque chose, cette envie de hurler, presque palpable, que cachent ses silences.
Ce n'est pas Duo, c'est quelqu'un qui lui ressemble.

Je regarde mes camarades et je prends conscience de combien notre équilibre était précaire.
Un an et demi.
Cela fait un an et demi à présent que nous combattons côte à côte. Un an et demi, et nous sommes finalement devenus une équipe. Mais retirez une pierre, et je crains que l'édifice ne s'écroule. Une main peut-elle encore servir, amputée de l'un de ses doigts ?
Je sais que Wu Fei est plus perturbé qu'il ne le laisse paraître. Je ne suis pas sûr qu'il réalise encore vraiment à quel point il l'est. Il semble chercher à définir quelque chose sans y parvenir. Je ne peux pas l'aider mais j'appréhende sa réaction et les conséquences que cela aura sur nous tous, lorsqu'il parviendra à mettre le doigt dessus.
Trowa reste égal à lui-même, en apparence, mais je vois bien qu'il cherche quelque chose du regard. Oui, Trowa, il manque quelqu'un.
Et Quatre... Quatre est probablement le plus affecté de nous tous, peut-être même plus que Duo lui-même, car Duo ne mesure pas tout ce qu'il a perdu.
J'ai vu les regards que Duo lui lance, et je vois combien Quatre en souffre. Son empathie ne fait qu'aggraver les choses. Si cela continue, je lui dirai de fermer les vannes de son pouvoir. J'espère qu'il le peut. C'est une chose qu'il devra faire, pour se préserver, parce que Duo est mort, Duo ne reviendra pas.
Je sais combien Quatre est fort, mais je sais aussi combien il peut être fragile parfois. Je sais combien nous comptons tous à ses yeux, et il ne réalise pas encore à quel point ce jeune homme n'est pas Duo.
Hier, il n'a pas seulement perdu son meilleur ami... il a perdu son confident.
Et moi...

Le jeune homme achevait de vérifier une dernière fois les commandes de son Gundam lorsqu'il vit passer sur son écran son ami Japonais. Son rythme cardiaque se perturba un instant. Il y avait quelque chose qu'il devait faire. Maintenant.
Il sortit la tête de son cockpit et l'interpella :
- Oï ! Heero ! Hey, man !
Le Japonais s'arrêta et leva vers lui un visage dénué de toute expression. Duo lui fit un grand sourire en agitant le bras dans sa direction.
- Je descends ! lui cria-t-il.
Heero eut un froncement de sourcil ennuyé, mais il attendit néanmoins que l'Américain le rejoigne. Il devait encore vérifier certains paramètres de Wing avant de partir en mission.
Duo lâcha le filin qui l'avait descendu jusqu'au sol et atterrit souplement. Il se releva et se dirigea avec entrain vers Heero, le sourire toujours aux lèvres. Arrivé à quelques pas, il ralentit, pourtant, et son sourire décroissa légèrement. Son allure se fit inhabituelle. Heero fronça encore les sourcils. Duo était nerveux, cela se voyait à sa démarche. Avait-il un problème avec la mission ?
- Oï, répéta-t-il lorsqu'il fut parvenu à sa hauteur.
Et son sourire était légèrement crispé.
- Euh...
Et il hésitait à parler, il cherchait ses mots ?
Heero n'aimait pas les changements inhabituels chez son coéquipier. Duo changeait constamment d'expression, il lui arrivait même d'être nerveux, mais il n'aurait pas dû l'être à ce moment-là. La nervosité ne faisait pas partie de la palette d'expressions qu'il arborait en principe avant une mission.
- Euh, Heero...
Heero attendit, puis haussa un sourcil en guise d'interrogation. Duo se triturait les doigts... Nerveux
et mal à l'aise. Heero ne l'avait encore jamais vu mal à l'aise.
- Qu'est-ce que tu veux Duo ? Un problème avec Deathscythe ou la mission ?
- Uh ? Non non, t'en fais pas, Deathscythe a une forme du tonnerre et la mission se déroulera parfaitement, comme d'habitude ! Non, c'est... je... Je voudrais te parler, Heero...
Le Japonais jeta un coup d'oeil à Wing, puis revint aux yeux améthystes. Il n'avait pas le temps pour les blagues puériles dont Duo avait le secret.
- Je t'écoute.
- Non, pas maintenant, après... Je... voudrais qu'on parle... sérieusement...
Heero haussa de nouveau un sourcil.
Duo occupait la même chambre qu'Heero depuis plusieurs mois à présent. Ils avaient parfois des discussions sérieuses, le soir, lorsqu'ils n'étaient que tous les deux.
Ils partageaient leurs cauchemars...
Heero n'aurait pas voulu l'avouer, c'était impensable de la part du Soldat Parfait qu'il était, mais il avait fini par apprécier cette proximité. Il ignorait encore comment, mais Duo était devenu son ami.
Il n'avait encore jamais eu ce genre de requête, cependant. Lorsqu'il leur arrivait de discuter, lorsqu'Heero délaissait son ordinateur et que Duo cessait de se comporter comme un gamin plus de cinq minutes, ils pouvaient passer des heures à parler, mais jamais ils ne s'étaient consultés pour cela. Cela venait comme ça, et ni l'un ni l'autre ne se posait la question de savoir comment ou pourquoi.
Jamais Duo n'avait demandé à lui parler sérieusement. Ce devait donc être important, mais dans ce cas pourquoi ne le lui disait-il pas tout de suite ?
- S'il te plaît ? Onegaï ?
Et pourquoi était-il aussi nerveux ?
Heero hocha la tête en guise d'assentiment et Duo parut soulagé, mais son sourire, bien qu'agrandi, resta légèrement crispé.
- Promis ?
Heero lui lança un regard noir ; Duo lui faisait perdre son temps. Avait-il donc l'habitude de revenir sur sa parole pour qu'il lui demande de promettre ?
- Okay, merci Heero ! Je vais finir de vérifier Deathscythe ! s'exclama l'Américain en courant vers son Gundam, tout en agitant le bras dans sa direction pour le saluer.
Heero le regarda s'éloigner et retint un soupir. Duo savait être épuisant lorsqu'il s'y mettait...

Et moi... Je ne saurai jamais ce que Duo tenait tellement à me dire...

- Qu'allons nous faire à présent ?
La question de Quatre me tire de mes pensées, mais je suis incapable de lui répondre. Sa voix n'a pas tremblé mais ses yeux, en constants mouvements, parlent pour lui. Il est nerveux. Il souffre aussi.
- Il faut l'aider mais... je ne suis pas sûr la façon dont nous devons nous y prendre.
Son regard passe sur chacun d'entre nous mais nous ne réagissons pas. Duo aurait détendu l'atmosphère. Duo aurait su rassurer Quatre. Il n'aurait pas menti, Duo ne ment jamais, il aurait simplement su trouver les mots justes. J'en suis incapable, je le sais.
- Devons-nous lui expliquer qui il est ? Je veux dire, peut-être pas tous les détails sur qui nous sommes, mais ce que nous savons de lui ?
- Ce que nous savons de lui se rapporte aux missions.
Je m'attire un regard sévère de Quatre et un autre, plus indéchiffrable, de la part des deux autres, mais ils ne comprennent pas encore, et certaines choses doivent être dites. Ce n'est pas Duo.
- Serait-ce le mieux pour lui ? Il n'est plus à même de se battre...
Tu ne comprends pas Wu Fei, il n'a plus de raison de le faire.
- ... et il ne se souvient pas du combat que nous menons, serait-il juste de l'y replonger ?
- Mais on ne peut pas le laisser comme ça ! Il a besoin d'aide ! Nous sommes ses amis, c'est à nous de tout faire pour l'aider ! Là, ce... ce n'est pas Duo !
Non, Quatre. C'est quelqu'un qui lui ressemble...
- Lui raconter quoique ce soit serait une erreur. Notre perception des événements n'est pas la sienne. Ce serait comme lui fournir de faux souvenirs. Ce serait le tromper, et tenter de le transformer en quelqu'un d'autre.
- Alors tu penses qu'il vaut mieux pour lui d'attendre que la mémoire lui revienne naturellement, Trowa ? Mais si elle ne revenait pas ? S'il avait besoin d'un choc, ou de stimulii, et que nous ne faisons rien, nous le perdrions définitivement !
Accepte que ce n'est pas Duo, Quatre, et venons-en au véritable problème qui se pose à nous.
- Je crois que... nous devrions toujours rester près de lui, l'un d'entre nous à la fois en tout cas, peut-être cela stimulerait sa mémoire ? Et il a toujours eu horreur de la solitude.
Je sais...
- Surtout toi, Heero, il faudrait que tu restes avec lui.
- Pourquoi moi ?
Il a un sourire navré, un sourire qu'aucun d'entre nous n'aimons voir sur son visage. Je suis content que Duo n'ait pu le voir. Je suis soulagé aussi qu'il ne sache pas en être la cause. Ou peut-être s'en moquerait-il à présent ?
- Il ne m'aime pas beaucoup, dit-il, et cette fois, sa voix s'est légèrement voilée. Trowa lui pose une main sur l'épaule. D'ordinaire, ce simple geste parvient à l'apaiser. Mais d'ordinaire, Duo est là, lui aussi, pour le réconforter...
- Les professeurs jugeront de ce que nous pourrons lui dire ou pas.
- Ils n'ont pas droit de vie ou de mort sur lui, Heero.
- Bien sûr que si. Duo était un soldat, il savait très bien que...
- Ne parle pas de lui au passé !
Quatre est en train de craquer, il a besoin de se reposer, comme nous tous. La tension nerveuse... Je vois à ses poings serrés que Wu Fei se contient difficilement. Trowa a le visage assombri. Mais ils doivent ouvrir les yeux.
- Il représente un danger pour nous, Quatre. Nous ne pouvons tout simplement pas prendre de risque à son sujet. Nous ne savons pas ce qu'il sait ou ce qu'il ignore exactement, ce dont il pourrait se souvenir, et quand, et à qui il pourrait le dire. Il y a bien plus en jeu que sa simple vie.
Quatre a un soudain hoquet, mais il faut qu'il comprenne enfin que nous ne pouvons pas nous permettre de...
- Duo !! s'écrit-il brusquement avant de se ruer sur la porte.
K'so...

*******

J'entends Winner crier mon nom et si je n'étais pas occupé à prendre la tangente, j'aurais probablement pris le temps de rigoler un bon coup. "Attends" ? Mais de quelle colonie tu viens, petit ? Je vais certainement pas vous donnez ma bénédiction pour me tuer !
Il faut que je pense, vite, et bien. Quel est mon premier réflexe ? M'enfuir loin et me cacher. Quel va être le leur ? Me courir après. Dans la forêt. Donc...
Sitôt à l'air libre, j'oblique sur la droite. Je n'ai que quelques secondes d'avance, Seigneur, ça va se jouer serrer, quasiment du pile ou face. Heureusement pour moi, les arbres sont à proximité et la nuit est tombée. A peine ai-je le temps de me cacher derrière le mur qu'ils surgissent à leur tour à l'extérieur. Quatre contre un, et mon seul allié se trouve sous mon oreiller. Quatre contre un, et sans lui, je n'ai pas la moindre chance. A supposer que je puisse retrouver dans le noir l'endroit où nous sommes descendus de voiture, Chang a été garer la camionnette ailleurs, et j'ignore où. Mais lui le sait, bien sûr, et si, comme je le pense, je sais conduire (pourquoi eux et pas moi ?), c'est le premier endroit qu'il ira vérifier. Winner crie et semble complètement affolé, ce que je peux comprendre, la forêt et la nuit jouent pour moi. Alors cherchez-moi ! Eloignez-vous et cherchez-moi !
Je distingue des faisceaux lumineux, sans doute des lampes torches. Ils se dispersent. Il n'y en a que trois.
J'hésite et prends le risque de jeter un coup d'oeil ; de toute façon, la fenêtre se trouve de ce côté là. Yuy se tient sur le pas de la porte et semble... humer l'air ? Il éclaire le sol et regarde autour de lui. Mais il n'a pas plu et l'herbe n'est pas suffisamment haute pour qu'il puisse y avoir mes empreintes. Casse-toi, putain ! Bon sang, faut pas que je panique, faut que je reste calme. Nouveau coup d'oeil. Il avance lentement vers l'autre côté de la maison, la lampe toujours braquée sur le sol. Merde, il a compris que j'étais toujours là ?
Il disparaît derrière l'angle de la propriété. Il va faire le tour, peut-être, ou revenir sur ses pas ? C'est une course contre la montre, et je me bénis d'avoir laissé la fenêtre entrouverte. Malgré l'envie, je ne me précipite pas dessus, le moindre bruit pourrait m'être fatal. Ou bien il est foutrement intelligent, ou il me connaît foutrement bien. Je sais pas ce qui me fout le plus les j'tons.
Je prends appui sur le rebord de la fenêtre et pousse la vitre. Shit, elle grince, mais ta gueule !! Je passe mes jambes de l'autre côté et atterris aussi souplement et silencieusement que possible sur le sol. En trois pas, je suis à la tête de mon lit. Un geste, et j'envoie valser mon oreiller. Je tends la main et...
- Bouge pas.
Je vous promets, j'ai été maudi à la naissance...

*******

Deux secondes.
C'est le temps qu'il m'aurait fallu pour me saisir de mon Beretta et me retourner vers la porte.
Deux secondes. C'est probablement le temps qu'il me reste à vivre. Deux secondes... c'était vraiment trop demander, deux putain de secondes ?
Une, et j'aurais accepté de tenter le coup !
Je tourne lentement la tête vers lui. Il allume la lumiere sans cesser de me tenir en joue. J'ai toujours la main tendue, et il a vu vers quoi.
- Ecarte-toi, dit-il.
Je me redresse, lentement toujours, sans geste brusque, mais je ne bouge pas mes pieds d'un millimètre.
Une seconde, et je tente le coup. Pourrais-je détourner son attention pendant une monstrueusement longue seconde ?
Il me fixe, et son visage est un masque mortuaire.
Il me fixe, et ses yeux sont bleus.
Il me fixe, et il ne tire pas.
Ce traître de Yuy. Oui, traître. Je m'attends pas à ce que vous compreniez, mais j'avais confiance en lui. Enfin... parmi eux tous, c'était celui avec lequel je me sentais le moins mal à l'aise. C'était le plus vrai d'entre eux. Celui qui n'avait pas hésité à me menacer d'une arme pour se faire obéir. Le seul qui n'avait jamais eu le moindre geste ou regard amical à mon égard. Le seul que je sentais être véritablement honnête, envers lui-même et envers les autres.
Envers moi.
Et c'est lui qui veut me tuer.
Moi qui avais presque commencé à croire leur fable sur mon appartenance à leur groupe.
Et c'est lui qui va me tuer.
Et il prend son temps, le saligaud ! Il ne tire pas. Je ne lui ferai pas le plaisir de lui montrer qu'il me fait peur.
Ses yeux sont tellement bleus...
J'aurais voulu voir une émotion sur son visage, avant de mourir. Même de la haine, même de l'indifférence, n'importe laquelle, mais quelque chose. Il me fixe, et c'est pire que s'il n'y avait que du vide.
Il pose son arme sur la commode. Le con.
Une seconde, et les rôles se sont inversés, c'est moi qui le tiens en joue. Je savais qu'une seconde me suffirait. Alors pourquoi il reste toujours sans expression ? Alors que je tiens un Beretta 92 avec 15 prunes dans le chargeur, il croit que c'est un pistolet à l'eau ou quoi ?
- Tu ne tireras pas, fait-il, et je retiens de justesse un rire à la limite de l'hystérie.
Tu veux parier mon gars ?
- Tu ne tireras pas, il répète, en faisant deux pas vers moi.
- Reste où tu es.
Il s'arrête.
Bleu...
- Tu ne peux pas tirer, dit-il comme s'il s'agissait d'une évidence.
Bleu comme un ciel d'été à midi par une journée sans nuage...
Il fait encore deux pas.
- Stay away from me !
J'ai pas spécialement envie de le tuer, mais ses copains vont revenir et à choisir entre lui et moi, la question ne se pose même pas. Au prochain pas et ce sera tant pis pour lui.
Bleu comme un lac de haute montagne, au coeur d'un glacier caché au regard des hommes et dont la pureté n'a d'égale que la mortelle froideur...
- Tu ne peux pas tirer.
Encore un pas. Mon doigt se crispe sur la gâchette.
...
Je n'y arrive pas. Mon cerveau a beau envoyer les signaux, mon doigt refuse d'obéir.
- Tu en es incapable, il dit, je ne sais que j'en suis incapable.
Bleu comme une couleur divine que le peintre se désespérera de jamais pouvoir reproduire...
Encore un pas et une violente douleur irradie mon poignet. L'étau se resserre et je me contente de réagir instinctivement, comme avec le garde. Un coup au visage, qu'il accompagne de la tête, réduisant ainsi la force de l'impact. Il me tord encore un peu le poignet et mes doigts laissent s'échapper mon arme. Mon genou remonte et il le bloque de sa main libre, m'infligeant une nouvelle douleur à la rotule. J'ignore l'élancement de mon poignet et lève le bras droit, entraînant le sien à ma suite. Un coup au sternum, et ma vision se parsème d'étoiles. Ensuite, je ne sais pas bien, j'ai la subite impression de décoller, je rebondis contre quelque chose (le matelas?), avant d'atterrir rudement face contre terre. Ouch. Je suis sonné mais je conserve encore suffisamment de réflexes et d'instinct de survie pour me relever immédiatement. C'était sans compter les quarante-cinq kilos qui s'abattent sur moi, l'élan en plus, me clouant de nouveau au sol. J'essaye de bouger et je ne deviens plus que douleur. Pendant quelques secondes qui s'étirent à l'infini, je n'arrive même pas à en localiser la provenance. Puis ça se centralise.
Son genoux gauche écrase la paume de ma main, et avec mes brûlures, malgré le bandage, la douleur est telle que je pourrais hurler. Je sers les dents pour ne pas lui faire ce plaisir.
Son autre genoux est enfoncé dans mon dos et me broie le rein droit, et je ne pensais pas pouvoir avoir plus mal qu'à la main, mais si, c'est possible. Il me tord également le bras droit dans le dos et il ne faudrait pas qu'il force beaucoup plus pour me le casser. Je me cambre au maximum pour soulager la tension au niveau de mes reins, mon coude, mon épaule ; je ne suis pas sûr que je pourrais supporter d'entendre le craquement. Il veut me faire à main nue, l'enfoiré, c'est pour ça qu'il n'a pas tiré.
- Calme-toi.
Si j'arrivais à respirer mais ses quarante-cinq kilos compressent trop mes poumons j'aurai ricané. J'essaye de me défaire de sa prise mais je ne fais qu'aggraver les choses en augmentant la douleur. En guise de punition, il accentue encore un peu la pression. Les délicats os de ma main doivent être de la compote maintenant, et c'est de la compote qui fait encore plus mal qu'avant. D'ailleurs "mal" n'est vraiment pas le mot qui convient, c'est bien au-delà de ça. Mon rein doit être en bouilli. Il paraît qu'on peut vivre avec un seul rein. Je suis pas sûr d'avoir l'occasion de le vérifier. Quant à mon épaule, disons simplement que si elle est sortie de son articulation, je n'en serai pas surpris. Je ne crois pas avoir jamais ressenti une telle souffrance.
Son bras fait encore remonter un peu le mien et je sers les dents à m'en faire éclater l'émail. Je me cambre autant que je peux, mais je sais que je ne pourrai pas maintenir cette position très longtemps, déjà mes forces m'abandonnent. Mes poumons me brûlent. Besoin d'air. Je me demande quelle partie de moi cédera la première.
- Calme-toi.
Se cambrer, encore. Seigneur, j'ai mal. Je sens des larmes de souffrance s'accumuler sous mes paupières.
- On ne te fera pas de mal pour l'instant, et tu ne partiras pas d'ici tant que je ne te l'aurai pas dit, alors calme-toi.
J'essaye de lui donner un coup de talon, mes jambes seules étant encore libres, mais c'était une erreur : ça reporte mon poids vers l'avant et je lâche un cri de douleur. A cause de mon bras je crois. Instinctivement, je rebascule vers l'arrière.
- On ne peut pas te laisser partir, Duo, mais il ne t'arrivera rien ce soir...
Il accentue encore un peu la pression, sur ma main, mon dos, mon bras, au bord de la rupture.
- Alors calme-toi.
Et je me rends.
La douleur est trop forte, je ne peux plus. Je commence à voir flou et j'ignore si ça vient des larmes accumulées ou si c'est parce que je suis au bord de l'évanouissement.
Je suis totalement à sa merci, et il lui reste même une main de libre, quelque part. Je ne la sens pas sur moi, peut-être s'en sert-il pour maintenir son propre équilibre. J'halète, parce que c'est le seul moyen que j'aie d'avoir quelques goulées d'air.
Je suis en son pouvoir, complètement. Il pourrait me briser comme une simple allumette. Et la souffrance est telle que je me soumets, tout, pourvu que ça cesse, d'une façon ou d'une autre, mais que la douleur s'arrête.
Et elle reflue, lentement.

Je ne bouge plus, je reste parfaitement immobile. Il a dû sentir que je capitulais et a accepté ma reddition. Ma tête est tournée vers la droite, je gis à terre, et je sais, sans le voir, qu'il s'est assis sur le rebord du lit. Je ne tenterai plus rien, c'est inutile, et je n'en ai plus la force. Je parviens à prendre de plus grandes goulées d'air. La douleur diminue, lentement, alors que paradoxalement mon corps semble s'hypersensibiliser.
Je n'ai pas de peine à imaginer sa posture, légèrement penché en avant, les avant-bras reposant sur ses genoux. Etrange cette faculté que j'ai de parfaitement les visualiser alors que je leur tourne le dos. Ce n'est pas la première fois que je le remarque mais je me demande si c'est bien le moment de s'interroger là-dessus.
Au moindre mouvement suspect de ma part et il se rendra de nouveau maître de moi. Mais je n'ai plus la force ni la volonté de tenter quoique ce soit.
J'ai mal.
La voix de Blondinet s'élève, affolée, mais je ne sens pas sa présence dans la pièce.
- Heero ! Heero, je ne le trouve pas !
Je tourne lentement la tête et prends appui sur le sol avec mon avant-bras droit. J'ai mal.
Il n'y a que nous deux dans la pièce. Yuy me regarde. Il porte à ses lèvres la montre qu'il a au poignet.
- Il est avec moi, dit-il, me fixant toujours, dans les yeux. Je me demande quelle expression j'ai, à ce moment-là. Lui n'en a aucune. J'ai mal. Je parviens néanmoins à replier mes jambes sous moi et à m'asseoir en tailleur, ravalant le gémissement de souffrance qui me vient. Au travers de mes bandages, ma main gauche s'est mise à saigner.
- Viens avec moi, dit-il d'une voix atone.
Il se lève et je le suis. J'ai mal. Moins, mais toujours.
Il se rend dans la salle d'eau, moi à sa suite. Il désigne le sol et commande :
- Assieds-toi.
Je m'exécute docilement.
Il ouvre le placard sous l'évier et c'est avec incrédulité que je le vois sortir une trousse de premiers soins. Il rabat la cuvette des W-C et s'assoit, pose la trousse sur le rebord du lavabo, puis se penche en avant et saisit mon poignet meurtri. Délicatement.
Avec une petite paire de ciseaux, il entreprend de couper le bandage imbibé de sang.
Je ne comprends pas... Il... me soigne ? Y'a deux minutes, il me maintenait au sol et m'infligeait une douleur pire que jamais et maintenant... il me soigne ??
Il achève de couper la bande et repose les ciseaux souillés à côté de la trousse. Il décolle précautionneusement la bande. Je transis et serre les dents. Il reste parfaitement concentré sur ses gestes. Il envoie la bande maculée de sang dans l'évier et fouille dans la trousse. Il en ressort une compresse stérile, qu'il ôte de son emballage et qu'il imbibe d'un liquide incolore. Ma main repose toujours sur ses cuisses, paume offert au ciel.
- Ça va piquer un peu, me prévient-il.
Je... je voudrais comprendre. Un spasme me vient sans crier gare.
Avec une infinie douceur, il désinfecte ma paume. Comment peut-il mettre autant d'humanité dans ses gestes alors qu'il y a cinq minutes...?
Ses mèches tombent sur son visage et malgré le fait que je sois en contre bas, je ne peux pas voir ses yeux. Il fixe ma main avec attention.
En effet, ça picote, mais ce n'est rien par rapport à ce qu'il vient de m'infliger lui-même.
Sa peau est aussi douce que ses gestes. Comment est-ce possible ?
J'entends le bruit d'un porte qui se fracasse contre un mur puis celui d'une course précipitée et un "Heerooo !" retentit dans toute la maison. Sugar Boy vient directement vers la salle d'eau mais reste sur le seuil. Il est essoufflé et nous regarde en silence, mais ni Yuy ni moi ne lui prêtons attention. Lui reste concentré sur sa tâche, bander ma main, et moi, je regarde Heero.
Au bout de quelques dizaines de secondes, la présence de Winner disparaît.
Un nouveau spasme me vient. Yuy soulève délicatement ma main et la bande avec prévenance.
Je voudrais tellement comprendre...
Ma lèvre inférieure se met soudainement à trembloter, et à cet instant, il relève les yeux vers moi. Toujours son masque de cire...
Il achève son bandage puis me regarde de nouveau. Encore un spasme. Sa tête s'incline légèrement sur le côté. Ma main repose toujours là où il l'a laissée. Je suis incapable de faire le moindre mouvement.
Mon corps commence à trembler lui aussi. Son regard semble se réchauffer un peu, il fait moins froid tout à coup.
- Tu peux pleurer si tu veux...
- Les garçons ne pleurent pas, j'hoquette.
Il lève lentement la main et je ferme les yeux un instant avant de les rouvrir pour replonger dans le bleu. Il pose sa main sur la rondeur de mon crâne et d'une légère pression, m'invite à courber la tête. Ma main glisse au sol, et au moment où mon visage repose sur ses genoux, il murmure :
- Qui a dit ça ?
Et j'éclate en sanglots.

Je pleure tout ce que j'ai perdu et que j'ignore avoir perdu. Je pleure les 48 heures qui constituent ce qui fait désormais ma vie. Je pleure demain, aussi incertain qu'hier. Je pleure le passé, je pleure le présent, et je pleure le futur.
Je pleure ce qui fut et ce qui n'a jamais été. Je pleure ce qui aurait pu être et ce qui ne sera pas. Je pleure les illusions perdues et celles oubliées. Je pleure ceux que j'aimais et dont il ne me reste rien. Je me pleure, moi. Je pleure l'étranger, l'intrus à moi-même que je suis aujourd'hui.
Je pleure ce que j'étais, ce que je serais devenu et je pleure ce que je serais peut-être. Je pleure la douleur, la souffrance et le soulagement.
Je pleure le vide, surtout le vide, et je pleure l'absence, la nuit, le désespoir. Je pleure la solitude, et la peur, et le froid.
Je pleure sur ses genoux, le poing convulsivement agrippé à son short, et la dernière chose dont j'ai conscience, c'est qu'il n'a pas retiré sa main...

(à suivre)

*******

Notes subsidiaires :
1) Le livre de chevet de Duo, Pearl of Sorrow, est bien sûr inventé, inutile de le chercher ! ^^;
2) Au cas où ça intéresserait quelqu'un ici, le Beretta 92 est un pistolet automatique d'origine italienne. Il a une capacité de 15 coups, pèse 970 grammes et mesure 125 mm de longueur au canon. Il a été lancé en 1975, et a été adopté en 80 par l'US Air Force et en 88 par l'armée américaine. En 86, il sert d'arme à la gendarmerie française, avec une modification de la pédale de sécurité, ce qui lui permet de revenir en position de feu après l'abattement du chien (MAS G1). Le Beretta possède un court recul du canon et c'est l'un (le?) des pistolets de combat le plus précis. Et non, je ne suis pas experte, j'ai simplement été vérifier sur le Net que mon choix du Beretta pour Duo était approprié... ;-)
3) Euh, non, je n'ai pas la force de faire un pitit dialogue avec les G-boys... Si c'est pour entendre Duo me traiter de brute et encenser la gentillesse de son Hee-chan, non merci... Kss... Me vengerai !



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